Blanche DuBois, jeune femme perdue, en proie au désespoir, trouve refuge chez sa soeur. Nul ne connait alors son drame. Ex-héritière déchue dont le mari homosexuel s’est donné la mort, elle vient d’être renvoyée de l’école où elle enseignait, pour avoir séduit un jeune élève après avoir cherché son ombre dans les bras de beaucoup d’hommes. Sa soeur Stella a depuis longtemps fuit le foyer familial pour se donner à un immigré polonais, Stanley, dont elle est, sinon amoureusement, au moins sexuellement dépendante. Ce qui ne devait être qu’une courte escale se transforme alors en une longue descente aux enfers. Confinée dans un appartement du quartier français de la Nouvelle-Orléans avec sa soeur et son beau-frère, Blanche DuBois, fêlée et fragile, finira par sombrer dans la folie. Ecrite en 1947, rendue célèbre par l’adaptation cinématographique d’Elia Kazan en 1951 et la performance de Marlon Brando dans le rôle de Stanley, la pièce, sur fond de déclassement, touche à nombre de tabous qui sont communs à Tennessee Williams, Krzysztof Warlikowski et à Wajdi Mouawad qui en signe l’adaptation française. La faute, le désir, l’assouvissement, le pardon impossible, l’homosexualité, l’errance, c’est tout cela qui s’est donné rendez-vous dans ce petit appartement, où il ne peut y avoir de vainqueur. Le quotidien minuscule de quelques êtres dessine une implacable tragédie sans qu’il y ait besoin d’un seul mort. Warlikowski tourne la page du réalisme psychologique pour emmener Blanche vers le monde défunt qu’elle porte en elle et qui fait écho à son paysage mental autant qu’aux lectures du dramaturge. Il insère dans le texte de Williams des extraits de Claude Roy, de Gustave Flaubert, de Sophocle ou de Coluche pour mieux dire l’intemporel et ramener ce monde qui bégaie aux sources de la tragédie. Isabelle Huppert est le centre irradié de sa mise en scène. Elle est Blanche la fêlée, la scandaleuse, l’aristo déchue, cinglante, lucide et terrorisée. Exceptionnelle, et exceptionnellement entourée par une éblouissante distribution (Andrzej Chyra dans le rôle de Stanley, Yann Collette dans le rôle de Mitch et Florence Thomassin dans celui de Stella pour ne citer que les principaux), l’actrice accomplit sur scène une des compositions les plus inouïes de sa carrière.